L’artisanat a émergé au Vietnam avant l’apparition des structures villageoises. Il a fallu
attendre l’organisation de la société en villages pour que cette activité devienne un élément
structurant et constitutif de l’économie et de l’identité vietnamienne.

Déjà au premier siècle après J.-C., à l’époque de la conquête chinoise, l’artisanat dans le
delta du fleuve Rouge avait atteint un niveau de technicité relativement élevé. Les
techniques de la métallurgie, la fonte du bronze et du fer étaient déjà maitrisées. Les deux
métiers artisanaux les plus prospères étaient alors le tissage et la vannerie. Tissus en coton,
en soie, paniers, corbeilles en bambou et en rotin étaient très réputés.

L’artisanat était aussi destiné à la vie quotidienne d’une société villageoise tournée vers la
consommation locale : articles en coton, céramiques, outillage agricole et hydraulique,
vannerie, nattes, industries de transformation des produits agricoles. La grande variété de
matières premières végétales et animales disponibles pour l’artisanat permettait la
fabrication de nombreux articles.

Chaque type d’articles donnait lieu à un grand nombre de variantes qui était l’activité d’un
village spécialisé. La vannerie est la branche connaissant la plus grande variété d’articles.
D’une part, car la matière première en l’occurrence le bambou, regroupe au moins huit
variétés aux caractéristiques particulières, ce qui permet la fabrication de paniers très variés,
de par leurs formes, leurs tailles et leur tressage plus ou moins serrés. Leur usage est
multiple : la cuisine, le transport des récoltes ou de la terre, l’irrigation, le séchage des
récoltes, leur conservation, l’élevage des vers à soie.

Les relations de vassalité envers l’ancien colonisateur chinois (pendant plus d’un millénaire,
le Vietnam fut sous domination chinoise : de – 111 AC à + 938 de notre ère) furent sous-
tendues par la remise de tributs artisanaux par l’État féodal vietnamien pendant plusieurs
siècles. Celui-ci contrôlait ses sujets et imposait de nombreuses taxes, corvées : il recrutait
aussi des militaires… les artisans étaient lourdement imposés, lorsqu’ils n’étaient pas tout
simplement réquisitionnés et amenés de force de leur village pour travailler dans les
fabriques de l’État (chantiers navals, armureries, frappe des monnaies), ou à la construction
de demeures et de palais pour l’élargissement de la ville au XVI e  siècle et au XVII e  siècle en
vertu du système công týõng, équivalent aux corvées (Nguyễn Thừa Hỷ, 2002).

Il est intéressant de noter que la raison pour laquelle l’artisanat ne s’est pas réellement
développé pour atteindre un niveau industriel est liée à l’importance de la doctrine
confucéenne, centrée sur la société rurale, qui dévalorisait l’activité marchande. Ceci a limité
l’émergence d’une bourgeoisie commerçante et industrieuse. Les marchands occupaient la
dernière place dans la hiérarchie du labeur : « lettré, paysan, artisan, négociant »

Les activités artisanales telles que la vannerie, la sculpture sur bois et l’incrustation de nacre
sur le bois, si elles se sont rarement développées en modèle industriel, ont néanmoins
bénéficié d’un large support de l’État et des provinces. C’est une grande chance, parce que
ces formations ont permis la pérennité d’un savoir-faire ancestral : des coopératives
dispensaient des cours de formation aux paysans des alentours des villages artisanaux les
plus célèbres pour qu’un volume suffisant de travailleurs puisse assurer les commandes du
vaste marché de l’Europe de l’Est. De grands maîtres artisans furent réquisitionnés par l’État
pour former une armée de nouveaux artisans. L’État prenait en charge les commandes, la
commercialisation des matières premières et des produits. La transmission des savoir-faire
s’opérait par l’apprentissage, la formation et la transmission inter générationnelle au sein de
la famille.

L’artisanat, tel qu’il est organisé en clusters au Vietnam, n’a pas encore été balayé par le
capitalisme, contrairement à la région Est et Sud-Est Asiatique où le libéralisme et la grande
industrie (grande consommatrice d’une main-d’œuvre pas chère) ont sonné son glas. À
l’ombre de la Chine, dont les entreprises sont difficiles à concurrencer, le Vietnam parvient à
trouver sa voie et continue à produire des artisans. Mais jusqu’à quand ?

MARS 2019